Déclaration sur l’Urgence Linguistique
RÉSOLUTION SUR L’URGENCE LINGUISTIQUE
Ces dernières années, des signes évidents montrent un ralentissement du processus de normalisation et de revitalisation de la langue basque. Bien que le nombre de locuteurs augmente en valeur absolue, divers indicateurs montrent une stagnation dans ce processus. Les résultats de la VIIe Enquête Sociolinguistique de l’année dernière montre que le pourcentage de locuteurs bascophones continue de diminuer au Pays Basque Nord continue de diminuer, qu’en Navarre six élèves sur dix n’ont aucun contact avec la langue basque tout au long de leur parcours éducatif, et que l’usage de la langue basque recule dans les zones les plus bascophones de la Communauté Autonome Basque. Par ailleurs, sur l’ensemble du Pays Basque, il est de plus en plus courant que les locuteurs bascophones se sentent plus à l’aise en espagnol ou en français qu’en langue basque. Proportionnellement, seulement 17,5 % des locuteurs utilisent davantage le basque que l’espagnol ou français au quotidien. Cela signifie que l’usage social, principal indicateur de vitalité d’une langue, est faible, et que globalement les pratiques linguistiques indiquent une tendance à la baisse.
Cette fragilité est étroitement liée au statut de la langue basque et de sa communauté de locuteurs. En effet, la langue basque n’a pas de statut officiel dans une grande partie de son territoire — au Pays Basque Nord et dans la majeure partie de la Navarre —, ce qui constitue un obstacle significatif dans le processus de récupération d’une langue minorisée. Et dans les territoires où le basque est officiel, soit en Alava, Biscaye, Gipuzkoa et dans la « zone bascophone » en Navarre, une succession de décisions judiciaires vient détricoter les politiques linguistiques favorables au basque. Ces décisions sont une véritable attaque judiciaire portée contre la normalisation et la revitalisation de la langue basque, qui parallèlement arguent que les mesures de soutien au basque sont discriminatoires. Elles vont à l’encontre de l’article 7.2 de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. De plus, cette attaque comporte une dimension politique et médiatique, où les mesures visant à protéger le basque et sa communauté de locuteurs contre la minorisation sont dépeintes comme des actes de discrimination. Cela met à mal le consensus social et nuit à la cohésion sociale et à la justice.
Le phénomène actuel de mondialisation accrue encore davantage cette vulnérabilité. Les tendances en matière de mobilité, de changements socio-démographiques et de numérisation et de commercialisation ont introduit de nouveaux défis dans le processus de normalisation et de revitalisation. Il est évident qu’une conséquence de la variante actuelle de la mondialisation est le renforcement des rapports de force structurels en faveur des plus puissants dans les champs politique, économique et social, dont les dynamiques de pouvoir entre langues ou communautés linguistiques ne sont pas exemptes. En résumé, la mondialisation et la numérisation rendent les langues hégémoniques plus hégémoniques et les langues minorisées plus vulnérables.
Compte tenu de tous ces éléments — et tenant compte que les communautés catalane et galicienne, qui font face à des situations similaires, ont déjà pris des mesures en ce sens — nous déclarons que la langue basque et sa communauté de locuteurs sont en état d’urgence linguistique. Sans mesures appropriées à court terme pour inverser les tendances sociolinguistiques et les problèmes structurels actuels, une régression est imminente. Si une nouvelle étape n’est pas enclenchée dans la politique linguistique, la langue basque continuera à péricliter au lieu de se renforcer.
Déclarer cet état d’urgence linguistique n’est pas un appel à se résigner, mais au contraire à effectuer un premier pas pour réorienter le processus de normalisation et de revitalisation du basque. Pour cela, il est indispensable de placer la langue basque au cœur de l’agenda politique et social. Par conséquent, nous appelons les institutions, autorités, et acteurs politiques et sociaux à prioriser la normalisation et la revitalisation du basque . Nous appelons également les citoyens à un engagement civique pour la normalisation du basque, similaire à ceux pris collectivement dans le cadre d’autres urgences sociales et politiques. Ce processus a besoin de nous tous.
De plus, considérant que cet état d’urgence linguistique ne se limitant pas au seul cas de la langue basque partage et que d’autres langues minorisées sont aussi menacées, nous demandons aux institutions européennes, autorités, acteurs politiques, sociaux, et citoyens de prendre des mesures, chacun à son échelle, pour prévenir l’homogénéisation culturelle et promouvoir la normalisation et la revitalisation des langues minorisées et de leurs communautés linguistiques respectives. En effet, dans un contexte où la vie elle-même est de plus en plus menacée, soutenir les langues et communautés culturelles minorisées est une manière de se porter garant de la vitalité mondiale.
Bilbao, le 9 novembre 2024